Après avoir dû annuler leur venue l’année dernière, Dub Inc aura finalement l’occasion de se rattraper ce vendredi 25 juillet à Esperanzah! Nous saisissons cette occasion pour vous proposer la toute première interview Reggae.be de ce groupe français à succès!Dans le cas où vous ne pourriez pas assister à Esperanzah!, vous pourrez retrouver le groupe l'année prochaine, le samedi 21 mars, sur la scène de l'Ancienne Belgique, qui affichera sans doute complet!
By Jah Rebel
Komlan, Zigo, vous êtes originaire de Saint-Étienne. Comment décririez-vous cette ville?
Grégory ‘Zigo’ Mavridorakis (batterie/percussion): “Saint-Etienne est une petite ville à 50 km de Lyon. C’est une ville industrielle très cosmopolite avec un passé minier. Les grands-parents et arrière-grands-parents de beaucoup d’habitants sont venu d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Ouest, de la Turquie et de l’Europe de l’Est, pour travailler dans les charbonnages. Je pense qu’on en tire ce background de débrouillard, de gens qui font les choses eux-mêmes. Ce qui nous a amenés en 1998, quand on a monté le groupe, à s’organiser nous-mêmes comme un groupe indépendant, et, au fil des années, développer notre label et produire tout ce qu’on produit par nous-mêmes, sans attendre qu’un label ou une maison de disques fassent les choses pour nous.”
Avant Dub Inc, il y avait encore le collectif Massasound.
Aurélien ‘Komlan’ Zohou (chant): “C’était nous, c’était un collectif qui a existé longtemps, sur les dix premières années du groupe, même un peu plus. C’était simplement l’antenne sound system du groupe. Le guitariste était le sélecteur, notre ingé son venait pour s’occuper des effets et tout ça, et avec Hakim je chantais. Ça nous permettait de nous relier avec la scène de notre localité, la scène de notre ville et des villes aux alentours. On faisait venir des chanteurs, on organisait des soirées. Aujourd’hui on a déjà tellement de boulot avec Dub Inc qu’on a un peu abandonné Massasound, même si occasionnellement on fait encore une petite soirée.”
Même si le groupe s’appelle, Dub Inc, et avant encore Dub Incorporation, il y a quand-même assez peu d’influences dub dans votre musique?
Zigo: “Quand on a commencé le groupe, tout début en 97, le son de Dub Inc était un mélange de métal et de dub. Ce n’était pas du tout la formule que c’est maintenant. On était basse, guitare et batterie. C’était quand on était encore au lycée. Ensuite, les chanteurs sont arrivés, le clavier est arrivé, et là, ça a tout de suite pris la forme que ça a maintenant. On n’a pas cherché à changer le nom du groupe, ça se passait très bien comme ça. Dub Incorporation, parce qu’on incorporait du dub dans notre musique, avec tous les autres styles que ça engendre. On n’a pas cherché à changer ça, parce que c’était notre identité et il n’y avait pas de raison. Ensuite, les gens ont commencé à nous appeler Dub Inc, donc on a raccourci en Dub Inc.”
Komlan: “C’était une époque où il y avait énormément de dub. Avec Jarring Effects à Lyon, il y avait une scène dub française très active. Je me rappelle que quand on réfléchissait à ce nom, il y avait aussi Asian Dub Foundation qui cartonnait à l’époque. On se disait Asian Dub Foundation, ce n’est pas spécialement du dub. Le terme dub, c’est juste une technique de studio à la base.”
Sur ‘Millions’, il y a quand même une version dub. Pourquoi avoir choisi le morceau ‘My Bro” pour en faire une version dub ?
Zigo: “Parce qu’il s’y prêtait bien et que ça a été l’inspiration de notre ingénieur du son, Benjamin ‘Ben’ Jouve. Puis on a demandé Guido Craveiro, le gars qui a mixé l’album, de faire le dub. Mais tu sais, on pourrait faire ça avec tous les morceaux en réalité.”
Vous n’avez jamais eu envie de faire tout un album dub?
Zigo: “Si, à vrai dire, on a plein de morceaux dubbés par plein de gars, parce qu’on avait ça en tête. Mais pour le moment, on n’a pas encore trouvé le temps de sortir un projet dub. On a sorti des sélections de 45 tours, mais pour le moment, le projet dub, on le garde, on l’a sous le coude, on verra, on n’est pas pressé.”
Il faut également évoquer la pochette de l’album, qui est particulièrement marquante. C’est une œuvre du plasticien congolais Justin Kasereka. Comment s’est établie votre collaboration avec lui?
Zigo: “On est parti faire un concert à Goma, à l’est du Congo, pour un festival d’art. Il y avait des danseurs, des musiciens et des plasticiens. Il se trouve qu’on a rencontré cet artiste. On a vu cette œuvre d’art qui nous a justement, comme tu dis, pris comme ça. Voilà, on l’a pris en pleine figure. L’expression de ce gorille, pour nous, elle veut dire plein de choses, donc ça a été l’idéal pour la pochette de notre album.”
Komlan: “C’était une œuvre qu’on avait ramenée du Congo sans se dire que ça allait être la pochette à la base. C’est vraiment quand on a cherché le visuel de la pochette, on s’est rappelé de ce dessin que le manager avait ramené du Congo. Et ça nous a apparu comme une évidence. Comme il disait, le regard, la symbolique, l’espèce en voie d’extinction, cette symbolique aussi de puissance que peut avoir le gorille. Le Congo c’est déjà un endroit très frappant, et la région où on était, c’était clairement une zone de guerre où se retrouvent ces grands singes au milieu. Ça symbolise tellement de choses sur le plan actuel que c’était une évidence.”
Ce qui m’a également frappé en écoutant ‘Millions’, c’est que les morceaux semblent particulièrement liés les uns aux autres, peut-être davantage que sur vos albums précédents.
Zigo: “C’est intéressant que tu dises ça. Je comprends ce que tu veux dire. Mais vraiment, c’est aussi qu’au fil des années, on a développé une façon de travailler où on travaille quotidiennement en studio et tout est fait quasiment en même temps. On écrit une histoire quand on écrit un album et je pense que forcément, ça lie les morceaux entre eux. Peut-être qu’avant, les chanteurs écrivaient un petit peu de temps en temps. Tout n’était pas aussi rapproché. Depuis deux ou trois albums, on fait tout. On passe six mois en studio à écrire tous les jours. Les choses se rattachent les unes aux autres, les sujets s’attachent les uns aux autres. On a toujours été un groupe qui parle de sujets très sociaux. Peut-être qu’au fil du temps, les sujets se resserrent entre eux. On a tellement parlé de racisme, d’acceptation de l’autre, d’écologie, etcetera, que dans la façon d’écrire, les morceaux s’imbriquent les uns aux autres.”
En tant que musiciens engagés, pensez-vous qu’il est important non seulement de s’exprimer à travers la musique, mais aussi d’agir concrètement en cohérence avec ce que vous défendez?
Komlan: “On n’a aucun complexe par rapport à ça. Quand on a sorti le morceau pour SOS Méditerranée, ‘À Travers Les Vagues’ avec d’autres artistes, on est allé rencontrer SOS Méditerranée. C’est un sujet qui nous avait beaucoup touchés. On a essayé de s’impliquer dedans. Tout est relatif. On n’est pas monté dans des bateaux pour sauver les gens. C’est justement pour ces gens-là qu’on a voulu faire ce morceau, pour aider ces gens-là. Pour nous, c’est important d’être en adéquation avec ce qu’on dit. C’est la partie visible de ce qu’on fait. Pour nous, c’est évident qu’il faut agir. Parler, c’est bien, mais ensuite, il faut montrer aussi que tu ne fais pas que chanter. Tu es là aussi pour agir.”
Zigo: “‘À Travers Les Vagues’, c’est parti du constat que justement, on aidait beaucoup d’associations dans le silence, sans en parler, parce qu’on n’avait pas envie que les gens aient l’impression qu’on veut s’exposer comme des grands mécènes de l’humanité. Par contre, ce qui est dommage, ce qui est contre-productif, c’est qu’on n’attire pas le regard des gens sur ces associations qui ont besoin d’aide. Pour SOS Méditerranée, on s’est dit qu’il fallait absolument qu’on pointe du doigt et qu’on parle de tout ça pour que les gens aient envie d’aider. Et on a eu plein de retours de gens qui nous ont dit qu’ils ne connaissaient pas et qui ont voulu faire des dons. ‘En Nous’, le dernier morceau de l’album, c’est aussi un hommage justement à ceux qui sont sur le terrain pour agir. Quand on nous dit qu’on est un groupe engagé, on rappelle toujours que nous, on est un groupe social qui parle de choses. Mais nous, on n’est pas dans la rue. Les vrais gens engagés, c’est ceux qui prennent des risques. Nous, on chante en France. On risque rien. Il n’y a pas de censure. Tout va bien. On ne va pas se faire attaquer par l’État si on dit quoi que ce soit. Tiken Jah Fakoly, lui, il est engagé quand il est au Mali ou en Côte d’Ivoire. Il ne prend pas les mêmes risques que nous en parlant du pouvoir. Ce morceau-là, c’était pour dire qu’il y a des gens tous les jours qui se battent pour nous et qui se battent dans l’ombre. Et c’est important de les aider. Il y a un documentaire sur Netflix qui s’appelle ‘Virunga’. C’est pareil. Ça parle de gens qui protègent les grands singes, les gorilles dans l’Est du Congo. Et ces gens-là, ils risquent leur vie vraiment tous les jours parce qu’il y a des milices armées autour qui veulent tuer les gorilles pour pouvoir avoir accès ensuite au sous-sol. Pour nous, ça, c’est les héros. Ça, c’est les vrais gens engagés!”
Le titre ‘Couleurs’ transmet un message fort en faveur du multiculturalisme. Pourtant, en Europe, on parle de plus en plus d’un échec du modèle multiculturel. Qu’en pensez-vous?
Komlan: “Politiquement, oui… Après, nous, on voit aussi la population, et ce n’est pas celle que l’on nous montre toujours dans les médias. Et nous, on sait que concrètement, quand tu viens dans plein de villes, de provinces en France, dans des banlieues françaises, dans plein d’endroits, les gens vivent ensemble. Ils ne passent pas leur temps à se taper sur la gueule et à se montrer du doigt. Il y a aussi beaucoup de gens qui prônent de vivre ensemble, qui prônent des valeurs qui sont beaucoup moins vendeuses dans les médias et sont donc moins visibles. On a plus de facilité à parler des gens qui se battent que des gens qui essaient de travailler ensemble.”
Zigo: “Dans n’importe quel club de foot, dans n’importe quelle petite ville ou dans n’importe quel village, il y a des gamins de tous les horizons. C’est cette espèce de vieille légende que les politiques et les médias essaient de te faire croire qu’on ne peut pas vivre ensemble. Mais la réalité, la vraie réalité, c’est que n’importe où tu vas, les gens vivent ensemble, point à la ligne. Tout ça, c’est des histoires pour diviser les gens. Mais en réalité, il y a des guerres depuis le début de l’humanité, mais il y a aussi surtout des gens qui s’unissent, qui font les choses ensemble et qui échangent. Le reste, c’est du pipeau. Nous, on est là pour le rappeler. Regardez-nous. Nous, on vient tous de milieux sociaux différents dans Dub Inc. Il y en a qui viennent de milieux favorisés, d’autres défavorisés. Il y a des blacks, des arabes, des français, des italiens, ce que tu veux. Et c’est naturel, on n’a jamais rien forcé. Dub Inc, ce n’est pas un concept qui s’est créé en disant on va prendre un noir et un arabe et on va les mettre ensemble. On représente juste la population normale… Ceux qui ne sont pas normaux, c’est ceux qui se mettent à l’écart de tout ça.”
Komlan: “Une arme fait toujours plus de bruit qu’une poignée de main!”
Avec des morceaux comme ‘Fake News’ et ‘Authentique’, vous pointez clairement les dérives des réseaux sociaux. Mais en tant que groupe indépendant, vous avez aussi besoin de ces outils pour faire vivre votre musique. Comment résister à un système dont on dépend?
Komlan: “Les réseaux sociaux et l’internet en général, c’est magnifique pour faire des choses. Pour parler à des gens qui sont à des dizaines de milliers de kilomètres de chez toi. D’échanger de la musique, d’échanger des idées. Mais il y a aussi un côté très négative. La seule manière de combattre ça, c’est de se comporter autrement, d’en parler autrement, et d’expliquer aux gens qu’il y a d’autres manières de s’en servir. L’exhibition permanente et la monétisation de toutes choses sur les réseaux sociaux, ce n’est pas juste une fin en soi. Il y a aussi une manière de communiquer grâce à ces réseaux sociaux. On le représente aussi à notre manière. Notre indépendance est passée par les réseaux sociaux.”
Zigo: “Je pense que ce problème-là est inhérent à l’humanité elle-même. Et à notre monde moderne. Tout est une question de proportions. Les réseaux sociaux, c’est très bien si tu arrives à garder une vie normale, et que tu t’en sers à une certaine échelle. Tout comme fumer de l’herbe. Si tu restes dans des proportions raisonnables, ça n’est pas un problème. Les réseaux sociaux, ça pourrait ne pas être un problème. Seulement, tout est une question de proportions. Et ça a un rapport avec le titre ‘Millions’ aussi; il y a des millions de clics tout le temps, des millions d’euros circulent. Il nous faut de plus en plus, il faut consommer toujours plus et on n’a jamais assez.”
Komlan: “En plus, je pense que les réseaux sociaux ne représentent encore une fois pas la réalité. Parce que par exemple, les haters, c’est tout sur internet. Quand tu les rencontres en vrai, ils ne disent jamais la même chose que ce qu’ils écriraient derrière leur écran. Il y a des choses réelles sur les réseaux, bien sûr, mais ce n’est pas ce qui se passe vraiment dans la rue, ce n’est pas ce qui se passe dans la vie des gens. Ce n’est pas le bon miroir, en fait c’est le miroir le pire de l’humanité. Si la moitié de ce qui était dit sur Internet était dit en vrai, il y aurait des guerres dans chaque pays!”
Est-ce que vous seriez d’accord si je disais que ‘À Tort Ou À Raison’ est le morceau le plus personnel de l’album?
Komlan: “Oui, on n’avait jamais fait un texte comme ça. On est habitué à des textes beaucoup plus généraux. Il a fallu vingt ans pour réussir à faire un morceau pareil. ‘À Tort Ou À Raison’ parle de nos parents, des gens qu’on a perdus, et on est très content de l’avoir fait.”
Aujourd’hui, presque tous vos concerts affichent complet. Pour un groupe indépendant comme le vôtre, c’est remarquable. Quel est, selon vous, le grand secret de Dub Inc ?
Zigo: “Nous, on ne connaît pas le secret parce qu’à chaque tournée, on pense avoir atteint un plafond qu’on n’arrivera pas à dépasser. Chaque fois, on arrive encore un peu plus loin. C’est sincère quand on le dit. On ne s’imagine pas aller plus haut. Notre seul secret, c’est de continuer à faire comme on aime, de ne pas forcer les choses, de beaucoup voyager. On investit beaucoup d’argent à tourner à l’étranger, même si c’est à perte. Ça nous offre de nouveaux horizons, de nouvelles rencontres, de nouvelles inspirations. Ça fait qu’on ne se lasse pas. Avec les années, on a réussi à attraper des nouvelles générations. Ça fait plus de monde. Le fait qu’on n’ait pas changé, les gens aiment bien le côté authentique du groupe. D’autant qu’on n’est pas dans les médias mainstream, les gens ne sont pas matraqués avec notre musique. Ils peuvent choisir quand ils veulent nous écouter et ça continue à donner envie de venir nous voir.”
Komlan, dans ‘À La Fois’ vous chantez: ” Je me sens chez moi partout et nulle part à la fois…”. Cette phrase, est-ce pour vous une force ou plutôt un sentiment de déracinement?
Komlan: “C’est sûrement les deux. Moi, je suis métisse. Du côté de mon papa, c’est l’Afrique, du côté de ma maman, c’est la France. C’est un truc que j’ai toujours ressenti. Je l’ai mis en mots. C’est vrai que ce métissage, je pense que c’est une force. Ça me permet d’avoir cette double culture, d’avoir peut-être un double regard. Parfois, ça peut être épuisant parce qu’on est dans une société qui te demande de choisir un drapeau, de choisir un camp. Maintenant que ce morceau est sorti, je me rends compte que ce métissage, c’est secondaire parce qu’il y a plein de gens qui ont ce même sentiment d’être chez eux et à la fois pas chez eux sans être métisse ou quoi que ce soit. C’est quelque chose de très universel, cette notion-là de se sentir partie prenante de l’humanité et à la fois de se sentir partie extérieure, de voir l’humanité se débattre entre elle-même. Au final, je pense que c’est une force, mais le morceau voulait aussi exprimer la fragilité de ce sentiment.”
Contrairement à beaucoup de groupes reggae, votre musique ne semble pas faire de lien direct avec la philosophie rasta.
Zigo: “Je pense qu’on n’a jamais voulu jouer un jeu. C’est pas notre culture. Nous, on la connaît très peu. Même si on a lu un peu à propos de ça, même si on la connaît parce qu’on fréquente ce milieu, c’est pas notre culture. On n’a jamais voulu se donner des airs ou des attitudes rasta. Même si on est très proche. On aime le message, en fait. On reste très proche de tout ça, mais on ne va pas prétendre et faire croire que c’est notre culture. Je pense que c’est quelque chose que notre public apprécie. On n’a jamais fait de faux semblants. On est ce qu’on est et on n’a pas besoin de jouer des rôles!”
Cofondateur aux côtés de Jah Shakespear qui a transitionné vers ce rôle fin 2014. A précédemment travaillé comme critique et journaliste, équilibrant ses passions pour la musique et la spiritualité Haile Selassie.
July 11, 2025